Nouakchott, le 19-10-2009, RMI-Biladi - Augias, un roi de la mythologie grecque, possédait un immense troupeau de bétail dont les écuries n'avaient pas été nettoyées pendant trente ans. Le sixième des douze travaux d’Hercule consistait en leur nettoyage, en une seule journée et sans aide. Il y réussit en faisant passer à travers les écuries deux fleuves dont il avait détourné le cours. En ordonnant l’assainissement immédiat, de Nouakchott, dans la plus totale improvisation, Mohamed Ould Abdel Aziz semble avoir oublié que Nouakchott croupit dans la crasse depuis cinquante ans, et que le fleuve Sénégal est à plus de 200 km.
Une opération coup de poing pour l’assainissement de la ville de Nouakchott, capitale politique et plus grande agglomération de la Mauritanie (avec une population dont l’évaluation varie entre 800.000 et 1.000.000 d’habitants) a débuté samedi. La décision d’entreprendre ce qui est présenté comme une démarche de salubrité publique est l’un des résultats de la réunion hebdomadaire du gouvernement, tenue le jeudi 15 octobre. Un conseil des ministres au cours duquel le chef de l’état, Mohamed Ould Abdel Aziz, a donné des instructions pour que toutes les mesures soient prises afin de donner à Nouakchott un visage plus attrayant au crépuscule d’un hivernage particulièrement abondant en pluies pour une cité abonnée à la sécheresse depuis plusieurs décennies. Résultats de ces pluies « diluviennes », des zones périurbaines assiégées par les eaux, plusieurs quartiers inondés et de nombreuses maisons devenues inhabitables. Fait inédit et plutôt inquiétant, les occupants de certaines zones résidentielles cossues, comme Tevragh-Zeina, qui vivaient dans la certitude d’être à l’abri des désagréments liés aux caprices de la nature, se sont retrouvés les pieds dans l’eau. Ne badinant avec les ordres du nouveau prince qui gouverne la Mauritanie, l’appareil d’Etat, le gouvernement et toute la pyramide de l’administration, a mobilisé tous les moyens pour rendre la capitale propre. Adoptant un timing d’enfer pour ne pas subir d’éventuelles foudres de la part du chef de l’Etat, les membres du gouvernement dont les départements comportent un volet lié à l’assainissement ont tenu un conseil interministériel jeudi en vue de prendre toutes les mesures pratiques pour la mise en œuvre de cette opération. Ministres au balai Ainsi, les animateurs des segments des départements ministériels impliqués dans l’assainissement, l’administration territoriale et municipale des neuf communes de Nouakchott, les moyens humains et matériels de l’entreprise Pizzorno (spécialisée dans l’assainissement et liée à la Communauté urbaine de Nouakchott), la Protection Civile (PC) et les forces de sécurité… ont été mobilisés. Point de départ de la vaste opération, le carrefour de Madrid, l’une des lignes de démarcation symbolique entre le centre ville et une partie des quartiers populaires de Nouakchott. Le coup d’envoi officiel a été donné par le Premier Ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, en présence des membres du gouvernement au grand complet. Le travail, entamé samedi 17 octobre, doit toucher toutes les communes et tous les quartiers de la ville, l’opération devant se prolonger plusieurs jours. Selon l’agence gouvernementale de presse AMI, «cette campagne, prévue pour plusieurs jours et qui implique la participation de tous les départements concernés en plus de la société française "Pizzerno", doit permettre le nettoyage de tous les quartiers de Nouakchott et débarrasser la capitale de toutes les ordures ménagères et industrielles». Cependant, au-delà de la volonté de répondre aux désirs du président de la République et du caractère spectaculaire de cette nouvelle opération « Augias » pour la propreté de notre capitale, les chances de réussite de l’action laissent les observateurs sceptiques. L’assainissement d’une ville de la taille de la capitale ne saurait être réglé par des improvisations ponctuelles, ou des investissements humains, aussi généreux soient-ils, et les coups de gueule du président et ses ordres impératifs ne sauraient remplacer la réflexion indispensable et l’élaboration d’une stratégie et de plans progressifs permettant, à moyen ou long terme, d’aboutir à des résultats durables. Travail démentiel La configuration de l’agglomération de Nouakchott, l’absence de tout système d’évacuation des eaux usées et des déchets liquides, la spécificité des habitations construites en dehors de toutes normes, le déficit d’expertise en matière d’infrastructures urbaines font que les outils même d’une réflexion sur une politique rationnelle d’assainissement sont inexistants. Croire que les maigres moyens matériels et humains, mobilisés en 48 heures, peuvent suffire à la tâche, c’est soit faire preuve d’une ignorance et d’une incompétence crasses (sans jeu de mots), soit se fourvoyer dans un populisme creux, et s’illusionner sur la capacité du discours à remplir les ventres affamés. L’assainissement de la ville de Nouakchott, si on doit l’entreprendre un jour, prendra les allures d’une opération démentielle à tous les niveaux. Selon une étude, cela exigera certainement quelques centaines de milliards d’ouguiya, ce qui en fait, dans le contexte économique actuel, une opération financièrement impossible. Le pays traverse une période de vaches maigres, et son fonctionnement est à l’arrêt depuis deux ans. Et la machine de l’Etat tarde à redémarrer malgré le retour de notre République dans le cercle fréquentable des nations autorisées à se prévaloir de la « légalité constitutionnelle », label indispensable pour bénéficier de l’appui de l’essentiel des partenaires au développement. En plus de ces difficultés, il y a notre mentalité, encore réfractaire à toute forme d’organisation pour une gestion collective des ordures et des déchets. D’où la nécessité d’une action préalable de sensibilisation. Le changement des mentalités et les habitudes liées à notre passé-présent rural, apparaît finalement comme le premier défi pour donner un nouveau visage à Nouakchott Transformer son habitat en écuries d’Augias, c’est pas compliqué, il suffit d’un peu d’ignorance, d’une pincée d’incivisme et de beaucoup de paresse. Mais devenir Hercule, cela demande un miracle. Cheikh Sidya
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